Auteur : Benoît Le Dévédec
En juillet 2018, de nombreuses agressions sexuelles avaient entaché la célébration de la victoire de l’équipe de France à la Coupe du Monde de foot. Plus récemment, la presse s’est faite l’écho, sous l’impulsion d’Anna Toumazoff (#Ubercestover), d’agressions sexuelles commises par des chauffeurs de la plateforme Uber. Un point commun dans ces affaires : l’alcool. Pour la première, c’est l’alcoolémie des auteurs qui avait été utilisée pour excuser de tels actes. Pour la seconde, c’est l’alcoolémie de certaines clientes qui avait été pointée du doigt, en estimant qu’il s’agissait d’une mise en danger, renversant la faute sur ces dernières.
Si le plus souvent, l’alcool est un simple « lubrifiant social », que les anglais surnomment « courage liquide » (voir l’article Sexe et alcool, pourvu qu’on ait l’ivresse ! de Maïa Mazaurette), il facilite également les conduites dangereuses tant pour soi-même que pour autrui. Il est notamment présent dans la commission de nombreuses infractions, y compris sexuelles, raison pour laquelle la loi l’a inséré comme élément répressif.
Sur l’état alcoolique de la victime
En 2018, une décision de justice italienne avait fait polémique : une cour d’appel a condamné pour viol à 3 ans de prison deux hommes ayant profité de l’état d’ébriété de leur victime. La Cour de cassation italienne a réformé la décision et a demandé qu’une autre cour d’appel la rejuge, car la victime avait volontairement consommé de l’alcool. Cette décision pose de grandes difficultés, car elle reviendrait à donner un « permis de violer » toute les femmes ayant volontairement bu…
En France, le fait d’avoir une relation sexuelle avec une personne sous l’emprise d’alcool peut être constitutif d’un viol ou d’une agression sexuelle sans pénétration, si la victime est considérée comme ayant eu une altération telle de son discernement qu’elle n’a pu consentir à ces actes. Juridiquement, il pourra alors s’agir, de la part de l’auteur, d’une contrainte ou plus vraisemblablement d’une surprise, qui sont des éléments constitutifs des agressions sexuelles. Il est ainsi possible de faire le parallèle avec le cas d’une victime endormie, car dans un cas comme dans l’autre, son discernement aura été surpris ou contraint. Tout comme il ne viendrait pas à l’idée de reprocher à une victime de violences sexuelles de s’être endormie, même volontairement, il apparait étrange de rejeter la faute de leur agression sur des victimes s’étant elles-mêmes alcoolisées. Et pourtant, ce discours est régulièrement tenu sur les réseaux sociaux, mais également, et c’est plus inquiétant, par certains professionnels du milieu judiciaire ou médical…
Surtout, lorsque c’est l’auteur de l’agression lui-même qui a fait boire la victime, il s’agira alors d’une circonstance aggravante du délit (article 222-28 11° du Code pénal) ou du crime (article 222-24 15° du Code pénal), en raison de l’administration d’une substance visant à altérer le discernement ou le contrôle des actes de la victime. En outre, en l’absence effective de viol ou d’agressions sexuelles sans pénétration, le simple fait d’avoir administré à une personne sans son consentement une telle substance est une infraction autonome (voir article 222-30-1 du Code pénal créé par la loi du 3 août 2018). Si, a priori, l’on pense ici au GHB, il faut savoir que la « drogue du violeur » est dans les faits majoritairement l’alcool (vient ensuite le cannabis puis les benzodiazépines, parfois cumulés).
Sur l’état alcoolique de l’auteur
Le fait que l’auteur d’une agression sexuelle était alcoolisé ou drogué au moment des faits ne lui permettra pas plus d’échapper à une sanction. En effet, l’article 222-24 12° du Code pénal élève l’ivresse manifeste et l’emprise manifeste de stupéfiant de l’auteur au rang de circonstances aggravantes du viol. L’article 222-28 8° du Code pénal en fait de même pour les agressions sexuelles sans pénétration.
En résumé, l’alcoolémie de l’auteur ou de la victime d’une agression sexuelle n’est jamais, ni un fait exonératoire, ni une circonstance atténuante (ce qui d’ailleurs n’existe plus en droit pénal), mais au contraire une circonstance aggravante voire une infraction autonome.
Article rédigé par Benoît Le Dévédec
Derrières modifications : 29 décembre 2019
Pensez à vous rendre sur notre page Facebook ou sur notre compte Twitter et à vous y abonner pour vous tenir au courant de tous nos nouveaux articles ! Si cet article vous a plu, n’hésitez pas à le partager sur les réseaux sociaux 😉
A bientôt !
(juste merci)
J’aimeJ’aime
Très bon article mon cher, comme d’habitude, mais vous avez laissé certaines question de coté.
1) Quid d’une femme qui ferait boire un homme qui couche avec elle? Un procureur retiendrait-il l’abrogation du consentement?
2) Que faire si les deux protagonistes ont consommés de l’alcool, et que l’un d’entre eux décide ensuite qu’en fait, non, il n’était pas consentant?
J’aimeJ’aime
Cher ami,
Concernant votre première question, vous remarquerez que mon article n’est pas genré. Je ne précise pas si l’auteur est un homme ou une femme. Qu’importe la situation de genre, la solution sera la même.
À la différence tout de même qu’en l’état du droit positif, le viol suppose que l’auteur pénètre la victime. Sinon nous parlons d’une agression sexuelle. C’est fortement criticable, mais c’est la position de la Cour régulatrice…
Concernant votre second cas, la partie civile, ou plutôt le parquet, devra prouver qu’elle était dans un état d’ébriété tel qu’elle ne pouvait consentir. Il faudra aussi prouver que le mis en cause a causé cet état (pour justifier des contraintes) ou que, a minima, il avait connaissance de l’impossibilité factuelle de son/sa partenaire de consentir. Sinon, comme de nombreuses affaires de viols, les preuves manqueront. À préciser que le consentement se retire avant ou pendant l’acte. Après cela s’appelle des regrets, et le droit n’y peut rien.
J’ai à présent une question pour vous : un couple, marié, fête quelque chose. À la fin de la soirée, les deux sont totalement ivres, à tel point que leur consentement est totalement annihilé (et non pas abrogé !). Ils couchent ensemble. Leur meilleur ami de procureur apprend cela. Dans la pureté des principes et de la théorie, pourrait il les poursuivre tous deux pour viol aggravé ?
En souvenir des débats capilotractés de l’Institut,
BLD
J’aimeJ’aime
La question est intéressante. Le mariage modifie la position du couple, et il faut se garder de penser que le consentement se retire quand on change de position.
Plus sérieusement, le fait qu’un couple soit marié créer une présomption de consentement. Le fait de coucher avec une personne alcoolisée peut créer une présomption de non consentement. Par conséquent, je pense que la situation est neutre. La présomption de consentement disparait, mais son existence a tenu en retrait la présomption de non-consentement.
Cela pose une question. à partir de combien de rapports « clairs » (les deux parties ne sont pas défoncés ou bourrés) peut on considérer qu’il y a une présomption de consentement. Je ne parle ici que pour l’alcool. Si une personne couche avec une autre trois fois en étant parfaitement sobre, et se prend une belle cuite la quatrième fois, peut-on invoquer le viol?
J’aimeJ’aime
La présomption de consentement entre les époux est refragable et est par essence une ineptie tellement elle est évidente : mariage ou non il y a présomption de consentement car il y a présomption d’innocence…
Cet ajout n’avait pour seul objectif que de contrecarrer la JP ahurissante de la Chambre criminelle…
Et il n’existe pas de présomption de non contentement. Votre argumentaire se délite au fur et à mesure de vos commentaires. Prennez garde !
BLD
J’aimeJ’aime
désolé, mais pour moi, l’alcool créer une présomption de non consentement. Dans le cadre d’un rapport non alcoolisé, si une des parties prétend qu’il y a eu viol, elle doit établir que le présumé auteur à usé de contrainte, violence, menace ou surprise.
Si elle était ivre, c’est sur le présumé auteur que pèsera la charge de la preuve. Pour moi, il y a une forme de présomption de non-consentement, même si la formule est un peu maladroite, je vous le concède. J’avais choisi ce terme pour simplifier l’opposition présomption de consentement/ état alcoolique.
J’aimeJ’aime
Non d’un petit bonhomme… « le présumé auteur » ?! Le suspect, le prévenu, l’accusé, le mis en cause, la défense, mais pas le « présumé auteur » !!
Et non, même en présence d’un état alcoolique il n’y a pas de présomption, simplement un élément participant à un faisceau d’indices.
BLD
J’aimeJ’aime
oui, présumé auteur. On ne parle pas d’un fait réel, et ça va plus vite que d’écrire la personne que l’on suspecte d’avoir commis les faits. Et je ne suis pas d’accord sur le rôle de simple élément participant à un faisceau d’indice que constitue selon vous l’emprise de l’alcool.
J’aimeJ’aime